Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/354

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et, charmés de la découverte, ils s’embrassèrent avec attendrissement.

Leur examen ensuite porta sur Marcel. Son plus grand défaut, et qu’ils n’ignoraient pas, était un extrême appétit. Néanmoins Bouvard et Pécuchet furent effrayés en constatant au-dessus du pavillon de l’oreille, à la hauteur de l’œil, l’organe de l’alimentivité. Avec l’âge leur domestique deviendrait peut-être comme cette femme de la Salpêtrière qui mangeait quotidiennement huit livres de pain, engloutit une fois quatorze potages et une autre soixante bols de café. Ils ne pourraient y suffire.

Les têtes de leurs élèves n’avaient rien de curieux ; ils s’y prenaient mal sans doute. Un moyen très simple développa leur expérience.

Les jours de marché, ils se faufilaient au milieu des paysans sur la place entre les sacs d’avoine, les paniers de fromages, les veaux, les chevaux, insensibles aux bousculades ; et quand ils trouvaient un jeune garçon avec son père, ils demandaient à lui palper le crâne dans un but scientifique.

Le plus grand nombre ne répondait même pas ; d’autres, croyant qu’il s’agissait d’une pommade pour la teigne, refusaient, vexés ; quelques-uns, par indifférence, se laissaient emmener sous le porche de l’église, où l’on serait tranquille.

Un matin que Bouvard et Pécuchet commençaient leur manœuvre, le curé tout à coup parut et, voyant ce qu’ils faisaient, accusa la phrénologie de pousser au matérialisme et au fatalisme.

Le voleur, l’assassin, l’adultère, n’ont plus qu’à rejeter leurs crimes sur la faute de leurs bosses.