Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/43

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une excuse nouvelle, jusqu’au dernier qu’il jeta par la fenêtre, déclarant n’y rien comprendre.

En effet, comme il avait cultivé les unes près des autres des espèces différentes, les sucrins s’étaient confondus avec les maraîchers, le gros Portugal avec le grand Mongol, et le voisinage des pommes d’amour complétant l’anarchie, il en était résulté d’abominables mulets qui avaient le goût de citrouille.

Alors Pécuchet se tourna vers les fleurs. Il écrivit à Dumouchel pour avoir des arbustes avec des graines, acheta une provision de terre de bruyère, et se mit à l’œuvre résolument.

Mais il planta des passiflores à l’ombre, des pensées au soleil, couvrit de fumier les jacinthes, arrosa les lis après leur floraison, détruisit les rhododendrons par des excès de rabatage, stimula les fuchsias avec de la colle forte, et rôtit un grenadier, en l’exposant au feu de la cuisine.

Aux approches du froid, il abrita les églantiers sous des dômes de papiers forts enduits de chandelle : cela faisait comme des pains de sucre tenus en l’air par des bâtons.

Les tuteurs des dahlias étaient gigantesques ; et on apercevait, entre ces lignes droites, les rameaux tortueux d’un sophora japonica qui demeurait immuable, sans dépérir, ni sans pousser.

Cependant, puisque les arbres les plus rares prospèrent dans les jardins de la capitale, ils devaient réussir à Chavignolles ; et Pécuchet se procura le lilas des Indes, la rose de Chine et l’eucalyptus, alors dans la primeur de sa réputation. Toutes ses expériences ratèrent. Il était chaque fois fort étonné.