Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/49

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Bouvard perdait la tête. Ses domestiques l’entouraient, parlant à la fois, et il défendait d’abattre les meules, suppliait qu’on le secourût, exigeait de l’eau, réclamait des pompiers.

— Est-ce que nous en avons ! s’écria le maire.

— C’est de votre faute ! reprit Bouvard.

Il s’emportait, proféra des choses inconvenantes, et tous admirèrent la patience de M. Foureau, qui était brutal cependant, comme l’indiquaient ses grosses lèvres et sa mâchoire de bouledogue.

La chaleur des meules devint si forte, qu’on ne pouvait plus en approcher. Sous les flammes dévorantes la paille se tordait avec des crépitations, les grains de blé vous cinglaient la figure comme des grains de plomb. Puis la meule s’écroulait par terre en un large brasier, d’où s’envolaient des étincelles ; et des moires ondulaient sur cette masse rouge, qui offrait dans les alternances de sa couleur des parties roses comme du vermillon, et d’autres brunes comme du sang caillé. La nuit était venue, le vent soufflait ; des tourbillons de fumée enveloppaient la foule. Une flammèche, de temps à autre, passait sur le ciel noir.

Bouvard contemplait l’incendie en pleurant doucement. Ses yeux disparaissaient sous leurs paupières gonflées, et il avait tout le visage comme élargi par la douleur. Mme Bordin, en jouant avec les franges de son châle vert, l’appelait : « Pauvre Monsieur », tâchait de le consoler. Puisqu’on n’y pouvait rien, il devait se faire une raison.

Pécuchet ne pleurait pas. Très pâle, ou plutôt livide, la bouche ouverte et les cheveux collés par la sueur froide, il se tenait à l’écart, dans ses