Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/58

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Devant cet horizon de merveilles, Bouvard et Pécuchet eurent comme un éblouissement. Le genre fantastique leur parut réservé aux princes. Le temple à la philosophie serait encombrant. L’ex-voto à la madone n’aurait pas de signification, vu le manque d’assassins ; et, tant pis pour les colons et les voyageurs, les plantes américaines coûtaient trop cher. Mais les rocs étaient possibles, comme les arbres fracassés, les immortelles et la mousse, et dans un enthousiasme progressif, après beaucoup de tâtonnements, avec l’aide d’un seul valet et pour une somme minime, ils se fabriquèrent une résidence qui n’avait pas d’analogue dans tout le département.

La charmille ouverte çà et là donnait jour sur le bosquet, rempli d’allées sinueuses en façon de labyrinthe. Dans le mur de l’espalier, ils avaient voulu faire un arceau sous lequel on découvrirait la perspective. Comme le chaperon ne pouvait se tenir suspendu, il en était résulté une brèche énorme, avec des ruines par terre.

Ils avaient sacrifié les asperges pour bâtir à la place un tombeau étrusque, c’est-à-dire un quadrilatère en plâtre noir, ayant six pieds de hauteur, et l’apparence d’une niche à chien. Quatre sapinettes aux angles flanquaient ce monument, qui serait surmonté par une urne et enrichi d’une inscription.

Dans l’autre partie du potager, une espèce de Rialto enjambait un bassin offrant sur ses bords des coquilles de moules incrustées. La terre buvait l’eau, n’importe ! Il se formerait un fond de glaise qui la retiendrait.

La cahute avait été transformée en cabane rustique, grâce à des verres de couleur.