Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/79

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La journée et le soir y passèrent.

Ils avaient mis des blouses, comme font les carabins dans les amphithéâtres, et, à la lueur de trois chandelles, ils travaillaient leurs morceaux de carton, quand un coup de poing heurta la porte. « Ouvrez ! »

C’était M. Foureau, suivi du garde champêtre.

Les maîtres de Germaine s’étaient plu à lui montrer le bonhomme. Elle avait couru de suite chez l’épicier pour conter la chose, et tout le village croyait maintenant qu’ils recelaient dans leur maison un véritable mort. Foureau, cédant à la rumeur publique, venait s’assurer du fait ; des curieux se tenaient dans la cour.

Le mannequin, quand il entra, reposait sur le flanc, et les muscles de la face étant décrochés, l’œil faisait une saillie monstrueuse, avait quelque chose d’effrayant.

— Qui vous amène ? dit Pécuchet.

Foureau balbutia :

— Rien, rien du tout.

Et, prenant une des pièces sur la table :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Le buccinateur, répondit Bouvard.

Foureau se tut, mais souriait d’une façon narquoise, jaloux de ce qu’ils avaient un divertissement au-dessus de sa compétence.

Les deux anatomistes feignaient de poursuivre leurs investigations. Les gens, qui s’ennuyaient sur le seuil, avaient pénétré dans le fournil, et comme on se poussait un peu, la table trembla.

— Ah ! c’est trop fort ! s’écria Pécuchet ; débarrassez-nous du public !

Le garde champêtre fit partir les curieux.