Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/84

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leur balance ne pouvait les supporter tous les deux, ce fut Pécuchet qui commença.

Il retira ses habits, afin de ne pas gêner la perspiration, et il se tenait sur le plateau, complètement nu, laissant voir, malgré la pudeur, son torse très long, pareil à un cylindre, avec des jambes courtes, les pieds plats et la peau brune. À ses côtés, sur une chaise, son ami lui faisait la lecture.

Des savants prétendent que la chaleur animale se développe par les contractions musculaires, et qu’il est possible en agitant le thorax et les membres pelviens de hausser la température d’un bain tiède.

Bouvard alla chercher leur baignoire, et quand tout fut prêt, il s’y plongea, muni d’un thermomètre.

Les ruines de la distillerie, balayées vers le fond de l’appartement, dessinaient dans l’ombre un vague monticule. On entendait par intervalles le grignotement des souris ; une vieille odeur de plantes aromatiques s’exhalait, et se trouvant là fort bien, ils causaient avec sérénité.

Cependant Bouvard sentait un peu de fraîcheur.

— Agite tes membres ! dit Pécuchet.

Il les agita, sans rien changer au thermomètre.

— C’est froid décidément.

— Je n’ai pas chaud non plus, reprit Pécuchet saisi lui-même par un frisson. Mais agite tes membres pelviens ! agite-les !

Bouvard ouvrait les cuisses, se tordait les flancs, balançait son ventre, soufflait comme un cachalot, puis regardait le thermomètre, qui baissait toujours :

— Je n’y comprends rien ! je me remue pourtant !