Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

chaleur, le vent, la pluie, les mouches, principalement les courants d’air.

Pécuchet imagina que l’usage de la prise était funeste. D’ailleurs, un éternûment occasionne parfois la rupture d’un anévrisme, et il abandonna la tabatière. Par habitude, il y plongeait les doigts ; puis, tout à coup, se rappelait son imprudence.

Comme le café noir secoue les nerfs, Bouvard voulut renoncer à la demi-tasse ; mais il dormait après ses repas et avait peur en se réveillant, car le sommeil prolongé est une menace d’apoplexie.

Leur idéal était Cornaro, ce gentilhomme vénitien, qui, à force de régime, atteignit une extrême vieillesse. Sans l’imiter absolument, on peut avoir les mêmes précautions, et Pécuchet tira de sa bibliothèque un Manuel d’hygiène, par le docteur Morin.

Comment avaient-ils fait pour vivre jusque-là ? Les plats qu’ils aimaient s’y trouvent défendus. Germaine, embarrassée, ne savait plus que leur servir.

Toutes les viandes ont des inconvénients. Le boudin et la charcuterie, le hareng saur, le homard et le gibier sont « réfractaires ». Plus un poisson est gros, plus il contient de gélatine, et, par conséquent, est lourd. Les légumes causent des aigreurs, le macaroni donne des rêves, les fromages « considérés généralement, sont d’une digestion difficile ». Un verre d’eau le matin est « dangereux ». Chaque boisson ou comestible étant suivi d’un avertissement pareil, ou bien de ces mots : « mauvais ! — gardez-vous de l’abus ! — ne convient pas à tout le monde ! » Pourquoi mauvais ? où est l’abus ? comment savoir si telle chose vous convient ?