Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mlle Vatnaz avait rougi en apercevant Dussardier. Elle se leva bientôt, et, lui tendant la main :

— Vous ne me remettez pas, monsieur Auguste ?

— Comment la connaissez-vous ? demanda Frédéric.

— Nous avons été dans la même maison ! reprit-il.

Cisy le tirait par la manche, ils sortirent ; et, à peine disparu, Mlle Vatnaz commença l’éloge de son caractère. Elle ajouta même qu’il avait le génie du cœur.

Puis on causa de Delmas, qui pourrait, comme mime, avoir des succès au théâtre ; et il s’ensuivit une discussion, où l’on mêla Shakespeare, la censure, le style, le peuple, les recettes de la Porte-Saint-Martin, Alexandre Dumas, Victor Hugo et Dumersan. Arnoux avait connu plusieurs actrices célèbres ; les jeunes gens se penchaient pour l’écouter. Mais ses paroles étaient couvertes par le tapage de la musique ; et, sitôt le quadrille ou la polka terminés, tous s’abattaient sur les tables, appelaient le garçon, riaient ; les bouteilles de bière et de limonade gazeuse détonaient dans les feuillages, des femmes criaient comme des poules, quelquefois, deux messieurs voulaient se battre ; un voleur fut arrêté.

Au galop, les danseurs envahirent les allées. Haletant, souriant, et la face rouge, ils défilaient dans un tourbillon qui soulevait les robes avec les basques des habits ; les trombones rugissaient plus fort ; le rythme s’accélérait ; derrière le cloître moyen âge, on entendit des crépitations, des pétards éclatèrent ; des soleils se mirent à tourner ;