Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/158

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premiers temps. Quant à la femme du pharmacien, c’était la meilleure épouse de Normandie, douce comme un mouton, chérissant ses enfants, son père, sa mère, ses cousins, pleurant aux maux d’autrui, laissant tout aller dans son ménage, et détestant les corsets ; — mais si lente à se mouvoir, si ennuyeuse à écouter, d’un aspect si commun et d’une conversation si restreinte, qu’il n’avait jamais songé, quoiqu’elle eût trente ans, qu’il en eût vingt, qu’ils couchassent porte à porte, et qu’il lui parlât chaque jour, qu’elle pût être une femme pour quelqu’un, ni qu’elle possédât de son sexe autre chose que la robe.

Et ensuite, qu’y avait-il ? Binet, quelques marchands, deux ou trois cabaretiers, le curé, et enfin M. Tuvache, le maire, avec ses deux fils, gens cossus, bourrus, obtus, cultivant leurs terres eux-mêmes, faisant des ripailles en famille, dévots d’ailleurs, et d’une société tout à fait insupportable.

Mais, sur le fond commun de tous ces visages humains, la figure d’Emma se détachait isolée et plus lointaine cependant ; car il sentait entre elle et lui comme de vagues abîmes.

Au commencement, il était venu chez elle plusieurs fois dans la compagnie du pharmacien. Charles n’avait point paru extrêmement curieux de le recevoir ; et Léon ne savait comment s’y prendre entre la peur d’être indiscret et le désir d’une intimité qu’il estimait presque impossible.