Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/241

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— Gravement ? s’écria-t-elle.

— Eh bien, fit Rodolphe en s’asseyant à ses côtés sur un tabouret, non !… C’est que je n’ai pas voulu revenir.

— Pourquoi ?

— Vous ne devinez pas ?

Il la regarda encore une fois, mais d’une façon si violente qu’elle baissa la tête en rougissant. Il reprit :

— Emma…

— Monsieur ! fit-elle en s’écartant un peu.

— Ah ! vous voyez bien, répliqua-t-il d’une voix mélancolique, que j’avais raison de vouloir ne pas revenir ; car ce nom, ce nom qui remplit mon âme et qui m’est échappé, vous me l’interdisez ! Madame Bovary !… Eh ! tout le monde vous appelle comme cela !… Ce n’est pas votre nom, d’ailleurs ; c’est le nom d’un autre !

Il répéta :

— D’un autre !

Et il se cacha la figure entre les mains.

— Oui, je pense à vous continuellement !… Votre souvenir me désespère ! Ah ! pardon !… Je vous quitte… Adieu !… J’irai loin…, si loin, que vous n’entendrez plus parler de moi !… Et cependant…, aujourd’hui…, je ne sais quelle force encore m’a poussé vers vous ! Car on ne lutte pas contre le ciel, on ne résiste point au sourire des anges ! on se laisse entraîner par ce qui est beau, charmant, adorable !

C’était la première fois qu’Emma s’entendait dire ces choses ; et son orgueil, comme quelqu’un qui se délasse dans une étuve, s’étirait mollement et tout entier à la chaleur de ce langage.