Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/289

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cent sous qu’il lui avait rendues. Elle se promettait d’économiser, afin de rendre plus tard…

— Ah bah ! songea-t-elle, il n’y pensera plus.

Outre la cravache à pommeau de vermeil, Rodolphe avait reçu un cachet avec cette devise : Amor nel cor ; de plus, une écharpe pour se faire un cache-nez, et enfin un porte-cigares tout pareil à celui du vicomte, que Charles avait autrefois ramassé sur la route et qu’Emma conservait. Cependant ces cadeaux l’humiliaient. Il en refusa plusieurs ; elle insista, et Rodolphe finit par obéir, la trouvant tyrannique et trop envahissante.

Puis elle avait d’étranges idées :

— Quand minuit sonnera, disait-elle, tu penseras à moi !

Et, s’il avouait n’y avoir point songé, c’étaient des reproches en abondance, et qui se terminaient toujours par l’éternel mot :

— M’aimes-tu ?

— Mais oui, je t’aime ! répondait-il.

— Beaucoup ?

— Certainement !

— Tu n’en as pas aimé d’autres, hein ?

— Crois-tu m’avoir pris vierge ? exclamait-il en riant.

Emma pleurait, et il s’efforçait de la consoler, enjolivant de calembours ses protestations.

— Oh ! c’est que je t’aime ! reprenait-elle, je t’aime à ne pouvoir me passer de toi, sais-tu bien ? J’ai quelquefois des envies de te revoir où toutes les colères de l’amour me déchirent. Je me demande : « Où est-il ? Peut-être il parle à d’autres femmes ? Elles lui sourient, il s’approche… » Oh !