Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/370

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En effet, le sieur Bovary père venait de décéder l’avant-veille, tout à coup, d’une attaque d’apoplexie, au sortir de table ; et, par excès de précaution pour la sensibilité d’Emma, Charles avait prié M. Homais de lui apprendre avec ménagement cette horrible nouvelle.

Il avait médité sa phrase, il l’avait arrondie, polie, rythmée ; c’était un chef-d’œuvre de prudence et de transitions, de tournures fines et de délicatesse ; mais la colère avait emporté la rhétorique.

Emma, renonçant à avoir aucun détail, quitta donc la pharmacie ; car M. Homais avait repris le cours de ses vitupérations. Il se calmait cependant, et, à présent, il grommelait d’un ton paterne, tout en s’éventant avec son bonnet grec :

— Ce n’est pas que je désapprouve entièrement l’ouvrage ! L’auteur était médecin. Il y a là-dedans certains côtés scientifiques qu’il n’est pas mal à un homme de connaître et, j’oserais dire, qu’il faut qu’un homme connaisse. Mais plus tard, plus tard ! Attends du moins que tu sois homme toi-même et que ton tempérament soit fait.

Au coup de marteau d’Emma, Charles, qui l’attendait, s’avança les bras ouverts et lui dit avec des larmes dans la voix :

— Ah ! ma chère amie…

Et il s’inclina doucement pour l’embrasser. Mais, au contact de ses lèvres, le souvenir de l’autre la saisit, et elle se passa la main sur son visage en frissonnant.

Cependant elle répondit :

— Oui, je sais…, je sais…