Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/445

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tresse, monsieur ! Je suis à plaindre, mais pas à vendre !

Et elle sortit.

Le notaire resta fort stupéfait, les yeux fixés sur ses belles pantoufles en tapisserie. C’était un présent de l’amour. Cette vue à la fin le consola. D’ailleurs, il songeait qu’une aventure pareille l’aurait entraîné trop loin.

— Quel misérable ! quel goujat !… quelle infamie ! se disait-elle, en fuyant d’un pied nerveux sous les trembles de la route. Le désappointement de l’insuccès renforçait l’indignation de sa pudeur outragée ; il lui semblait que la Providence s’acharnait à la poursuivre, et, s’en rehaussant d’orgueil, jamais elle n’avait eu tant d’estime pour elle-même ni tant de mépris pour les autres. Quelque chose de belliqueux la transportait. Elle aurait voulu battre les hommes, leur cracher au visage, les broyer tous ; elle continuait à marcher rapidement devant elle, pâle, frémissante, enragée, furetant d’un œil en pleurs l’horizon vide, et comme se délectant à la haine qui l’étouffait.

Quand elle aperçut sa maison, un engourdissement la saisit. Elle ne pouvait avancer ; il le fallait cependant ; d’ailleurs, où fuir ?

Félicité l’attendait sur la porte.

— Eh bien ?

— Non ! dit Emma.

Et, pendant un quart d’heure, toutes les deux, elles avisèrent les différentes personnes d’Yonville disposées peut-être à la secourir. Mais, chaque fois que Félicité nommait quelqu’un, Emma répliquait :

— Est-ce possible ! Ils ne voudront pas !