Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/446

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— Et monsieur qui va rentrer !

— Je le sais bien… Laisse-moi seule.

Elle avait tout tenté. Il n’y avait plus rien à faire maintenant ; et, quand Charles paraîtrait, elle allait donc lui dire :

— Retire-toi. Ce tapis où tu marches n’est plus à nous. De ta maison, tu n’as pas un meuble, une épingle, une paille, et c’est moi qui t’ai ruiné, pauvre homme !

Alors ce serait un grand sanglot, puis il pleurerait abondamment, et enfin, la surprise passée, il pardonnerait.

— Oui, murmurait-elle en grinçant des dents, il me pardonnera, lui qui n’aurait pas assez d’un million à m’offrir pour que je l’excuse de m’avoir connue… Jamais ! jamais !

Cette idée de la supériorité de Bovary sur elle l’exaspérait. Puis, qu’elle avouât ou n’avouât pas, tout à l’heure, tantôt, demain, il n’en saurait pas moins la catastrophe ; donc, il fallait attendre cette horrible scène et subir le poids de sa magnanimité. L’envie lui vint de retourner chez Lheureux : à quoi bon ? d’écrire à son père ; il était trop tard ; et peut-être qu’elle se repentait maintenant de n’avoir pas cédé à l’autre, lorsqu’elle entendit le trot d’un cheval dans l’allée. C’était lui, il ouvrait la barrière, il était plus blême que le mur de plâtre. Bondissant dans l’escalier, elle s’échappa vivement par la place ; et la femme du maire, qui causait devant l’église avec Lestiboudois, la vit entrer chez le percepteur.

Elle courut le dire à Mme Caron. Ces deux dames montèrent dans le grenier ; et, cachées par du linge étendu sur des perches, se postèrent