Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/488

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l’auberge, enfonça la porte d’un coup d’épaule, bondit au sac d’avoine, versa dans la mangeoire une bouteille de cidre doux, et renfourcha son bidet, qui faisait feu des quatre fers.

Il se disait qu’on la sauverait sans doute ; les médecins découvriraient un remède, c’était sûr. Il se rappela toutes les guérisons miraculeuses qu’on lui avait contées.

Puis elle lui apparaissait morte. Elle était là, devant lui, étendue sur le dos, au milieu de la route. Il tirait la bride et l’hallucination disparaissait.

À Quincampoix, pour se donner du cœur, il but trois cafés l’un sur l’autre.

Il songea qu’on s’était trompé de nom en écrivant. Il chercha la lettre dans sa poche, l’y sentit, mais il n’osa pas l’ouvrir.

Il en vint à supposer que c’était peut-être une farce, une vengeance de quelqu’un, une fantaisie d’homme en goguette ; et, d’ailleurs, si elle était morte, on le saurait ? Mais non ! la campagne n’avait rien d’extraordinaire : le ciel était bleu, les arbres se balançaient ; un troupeau de moutons passa. Il aperçut le village ; on le vit accourant tout penché sur son cheval, qu’il bâtonnait à grands coups, et dont les sangles dégouttelaient de sang.

Quand il eut repris connaissance, il tomba tout en pleurs dans les bras de Bovary :

— Ma fille ! Emma ! mon enfant ! expliquez-moi… ?

Et l’autre répondait avec des sanglots :

— Je ne sais pas, je ne sais pas ! c’est une malédiction ! L’apothicaire les sépara.

— Ces horribles détails sont inutiles. J’en in-