Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/556

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cier des conséquences ; que là où vous la voyez grimaçant, vous mettez la grimace, et qu’il ne vous plaît pas de la peindre en beau pour l’édification des duchesses. Soit ! montrez le laid, mais à la manière des grands artistes et des écrivains habiles, sans secrète complaisance, sans exclusion systématique, et en mêlant au mal cette juste mesure de bien qui en est, par la volonté de Dieu, le contre-poids ou la revanche. Faites, toute proportion gardée, comme Lesage, comme Fielding, comme l’abbé Prévost, comme Molière lui-même qui a si bien dit :

Je veux que l’on soit homme et qu’en toute rencontre
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre.

Dans le roman tel qu’on l’écrit aujourd’hui, avec les procédés de la reproduction photographique, l’homme disparaît dans le peintre : il ne reste qu’une plaque d’acier.

La plupart des romanciers du jour participent plus ou moins à ces défauts de l’école réaliste. Presque tous ils se ressemblent par la négligence du style auquel ils croient suppléer par une fatigante exagération d’exactitude dans la peinture du monde réel.

Mais M. Gustave Flaubert « a le style », nous dit-on. Si l’auteur de Madame Bovary a le style, nous sommes bien prêt de nous entendre. Entre l’art et le réalisme, comme on appelle aujourd’hui l’absence ou le mépris de l’art, toute la difficulté est là : une question de plus ou de moins, une affaire de style ; mais cette différence est tout.

… Si M. Gustave Flaubert est un jeune homme, comme on le dit, ses défauts ne sont pas de ceux qui sont sans remède. Quelques-uns semblent plutôt l’exagération d’une qualité. M. Sainte-Beuve a raison : plusieurs pages de son livre annoncent un écrivain vigoureux. Il excelle dans la charge. Son comice agricole est un chef-d’œuvre du genre, et il y a là une scène de comédie vraiment supérieure. Au fond, M. Gustave Flaubert est un satirique. Non qu’il soit d’humeur joviale. Son rire est « impersonnel » comme sa morale. Mais je crains qu’il n’y ait sous cette impassibilité juvénile bien du désenchantement et du scepticisme. Au demeurant, voilà un livre qui aura fait beaucoup de bruit et qui n’aura guère avancé les affaires du réalisme au profit de ses adeptes. M. Flaubert a plus de talent que la plupart de ses confrères du roman matérialiste. Il a le trait, parfois la couleur, en dépit de son procédé. Si pourtant il me fallait choisir entre Madame Bovary et les Aventures de Mademoiselle Mariette, entre les mannequins grossiers et lardés de M. Flaubert et les photographies à outrance de M. Champfleury, — je le dis franchement : j’aime mieux M. Champfleury… Non que je croie à l’avenir du réalisme. C’est un genre étroit et borné, qui touche au faux par l’exagération du vrai. C’est un genre pourtant. Paré des oripeaux du romantisme, c’est moins que rien ; une enlumi-