Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/561

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trop que faire d’une demoiselle qui ne partage pas ses goûts agricoles. (Suit le résumé du roman.)

Tel est le squelette de cette longue histoire, dont je ne comprends pas très bien la portée morale et philosophique, mais qui est l’œuvre d’un véritable écrivain.

J’ai trop d’estime pour le talent de M. Gustave Flaubert pour ne pas dire franchement ce que je pense de son livre. Si la complaisance est permise, c’est seulement à l’égard des œuvres médiocres. M. Gustave Flaubert est un rude jouteur. Il se présente dans l’arène à la façon du gladiateur, et l’on pourrait croire qu’il éprouve un certain plaisir à montrer la vigueur de ses muscles et la force de son bras. Il me fait l’effet de ces alcides qui font faire, à l’aide d’un énergique coup de poing, tout le tour du cadran à l’aiguille du dynamomètre. Ainsi rien ne l’arrête, ni les conventions du monde, ni les règles de la composition, ni même les lois de la morale. S’il a besoin d’une scène, il ne s’embarrasse pas dans les détours de la préparation, il la pose carrément et l’enlève ensuite à la force du poignet. Ainsi agit-il à l’égard de ses personnages qu’il prend ici, qu’il laisse là pour les reprendre et les abandonner de nouveau, et toujours au petit bonheur. Il a une façon de voir les sentiments à un point de vue physiologique dont la brutalité vous blesse et ne vous déplaît pas toujours. Il tient de Balzac par le procédé littéraire, mais il en diffère essentiellement dans l’analyse de la passion. Il a hérité du maître le goût du vagabondage à travers les chambres nuptiales, les alcôves, les scènes scabreuses et hardies, il multiplie, comme Balzac, les détails nombreux et touffus, mais il s’égare avec trop de complaisance dans l’interminable description des objets, il reste trop souvent à la porte du genre humain. Tous les personnages de M. Flaubert sont plutôt des tempéraments que des caractères, depuis le lymphatique M. Binet, qui passe sa vie à tourner des ronds de serviettes, jusqu’à l’hystérique Mme Bovary. Ce sont bien des êtres vivants, mais ils ne m’intéressent que médiocrement parce qu’ils ne me semblent pas avoir la conscience de leurs actions. Ce qui fait l’homme si grand au milieu de tous les êtres de la création, c’est sa double nature et le duel perpétuel qui en résulte ; si vous le dépouillez d’une de ces deux natures, il n’est plus qu’une créature intermédiaire entre l’homme créé par Dieu et un automate. M. Flaubert a étudié la médecine, cela se devine tout de suite, pour peu qu’on ait lu deux pages de son livre. Peut-être fera-t-il bien d’oublier, dans une certaine mesure, ses études physiologiques, quand il écrira un roman nouveau. La physiologie est une science dont je fais le plus grand cas, mais à la condition qu’elle ne submerge pas le monde métaphysique et, dans Madame Bovary, j’avoue que le carabin me cache un peu trop le moraliste.

Ce qui manque aussi à M. Flaubert, c’est la science des con-