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avait collée au dos et prétendait n’avoir écrit sa Bovary que par haine de l’école de M. Champfleury.

Malgré une grande amitié pour Émile Zola, une grande admiration pour son puissant talent qu’il qualifiait de génial, il ne lui pardonnait pas son naturalisme.

Il suffit de lire avec intelligence Madame Bovary pour comprendre que rien n’est plus loin du réalisme.

Le procédé de l’écrivain réaliste consiste à raconter simplement des faits arrivés, accomplis par des personnages moyens qu’il a connus et observés.

Dans Madame Bovary, chaque personnage est un type, c’est-à-dire le résumé d’une série d’êtres appartenant au même ordre intellectuel.

Le médecin de campagne, la provinciale rêveuse, le pharmacien, sorte de Prudhomme, le curé, les amants, et même toutes les figures accessoires sont des types, doués d’un relief d’autant plus énergique qu’en eux sont concentrées des quantités d’observations de même nature, d’autant plus vraisemblables qu’ils représentent l’échantillon modèle de leur classe.

Mais Gustave Flaubert avait grandi à l’heure de l’épanouissement du romantisme ; il était nourri des phrases retentissantes de Chateaubriand et de Victor Hugo, et il se sentait un besoin lyrique qui ne pouvait s’épandre complètement en des livres précis comme Madame Bovary.

Et c’est là un des côtés les plus singuliers de ce grand homme : ce novateur, ce révélateur, cet obscur a été jusqu’à sa mort sous l’influence dominante du romantisme. C’est presque malgré lui, presque inconsciemment, poussé par la force irrésistible de son génie, par la force créatrice enfermée en lui, qu’il écrivait ces romans d’une allure si nouvelle, d’une note si personnelle. Par goût, il préférait les sujets épiques, qui se déroulent en des espèces de chants pareils à des tableaux d’opéra.

Dans Madame Bovary, d’ailleurs, comme dans l’Éducation sentimentale, sa phrase, contrainte à rendre des choses communes, a souvent des élans, des sonorités, des tons au-dessus des sujets qu’elle exprime. Elle part, comme fatiguée d’être contenue, d’être forcée à cette platitude, et, pour dire la stupidité d’Homais ou la niaiserie d’Emma, elle se fait pompeuse ou éclatante, comme si elle traduisait des motifs de poème…

II

Gustave Flaubert était, avant tout, par-dessus tout, un artiste. Le public d’aujourd’hui ne distingue plus guère ce que signifie ce mot quand il s’agit d’un homme de lettres. Le sens de l’art, ce flair si délicat, si subtil, si difficile, si insaisissable, si