Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/585

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est aux genoux de sa femme, il est le plus heureux des hommes ; le plus aveugle des maris ; sa seule préoccupation est de prévenir les désirs de sa femme.

Ici le rôle de M. Bovary s’efface ; celui de Mme Bovary devient l’œuvre sérieuse du livre.

Messieurs, Mme Bovary a-t-elle aimé son mari ou cherché à l’aimer ? Non, et dès le commencement il y eut ce qu’on peut appeler la scène de l’initiation. À partir de ce moment, un autre horizon s’étale devant elle, une vie nouvelle lui apparaît. Le propriétaire du château de la Vaubyessard avait donné une grande fête. On avait invité l’officier de santé, on avait invité sa femme, et là il y eut pour elle comme une initiation à toutes les ardeurs de la volupté ! Elle avait aperçu le duc de Laverdière, qui avait eu des succès à la cour ; elle avait valsé avec un vicomte et éprouvé un trouble inconnu. À partir de ce moment, elle avait vécu d’une vie nouvelle, son mari, tout ce qui l’entourait, lui était devenu insupportable. Un jour, en cherchant dans un meuble, elle avait rencontré un fil de fer qui lui avait déchiré le doigt ; c’était le fil de son bouquet de mariage. Pour essayer de l’arracher à l’ennui qui la consumait, M. Bovary fit le sacrifice de sa clientèle, et vint s’installer à Yonville. C’est ici que vient la scène de la première chute. Nous sommes à la seconde livraison. Mme Bovary arrive à Yonville, et là, la première personne qu’elle rencontre, sur laquelle elle fixe ses regards, ce n’est pas le notaire de l’endroit, c’est l’unique clerc de ce notaire, Léon Dupuis. C’est un tout jeune homme qui fait son droit et va partir pour la capitale. Tout autre que M. Bovary aurait été inquiété des visites du jeune clerc, mais M. Bovary est si naïf qu’il croit à la vertu de sa femme ; Léon, inexpérimenté, éprouvait le même sentiment. Il est parti, l’occasion est perdue, mais les occasions se retrouvent facilement. Il y avait dans le voisinage d’Yonville un M. Rodolphe Boulanger (vous voyez que je raconte). C’était un homme de trente-quatre ans, d’un tempérament brutal ; il avait eu beaucoup de succès auprès des conquêtes faciles ; il avait alors pour maîtresse une actrice ; il aperçut Mme Bovary, elle était jeune, charmante ; il résolut d’en faire sa maîtresse. La chose était facile, il lui suffit de trois occasions. La première fois il était venu aux Comices agricoles, la seconde fois il lui avait rendu une visite, la troisième fois il lui avait fait faire une promenade à cheval que le mari avait jugée nécessaire à la santé de sa femme ; et c’est alors, dans une première visite de la forêt, que la chute a lieu. Les rendez-vous se multiplieront au château de Rodolphe, surtout dans le jardin de l’officier de santé. Les amants arrivent jusqu’aux limites extrêmes de la volupté ! Mme Bovary veut se faire enlever par Rodolphe, Rodolphe n’ose pas dire non, mais il lui écrit une lettre où il cherche à lui prouver, par beaucoup de raisons, qu’il ne peut pas l’en-