Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/607

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et de le mettre en parallèle avec le nombre des autres lignes qu’il a laissées de côté, nous serions dans la proportion totale de un à cinq cents, et vous verriez que cette proportion de un à cinq cents n’est pas une couleur lascive, n’est nulle part ; elle n’existe que sous la condition des découpures et des commentaires.

Maintenant, qu’est-ce que M. Gustave Flaubert a voulu peindre ? D’abord une éducation donnée à une femme au-dessus de la condition dans laquelle elle est née, comme il arrive, il faut bien le dire, trop souvent chez nous ; ensuite le mélange d’éléments disparates qui se produit ainsi dans l’intelligence de la femme, et puis quand vient le mariage, comme le mariage ne se proportionne pas à l’éducation, mais aux conditions dans lesquelles la femme est née, l’auteur a expliqué tous les faits qui se passent dans la position qui lui est faite.

Que montre-t-il encore ? Il montre une femme allant au vice par la mésalliance, et du vice au dernier degré de la dégradation et du malheur. Tout à l’heure, quand, par la lecture de différents passages, j’aurai fait connaître le livre dans son ensemble, je demanderai au tribunal la liberté d’accepter la question en ces termes : Ce livre mis dans les mains d’une jeune femme, pourrait-il avoir pour effet de l’entraîner vers des plaisirs faciles, vers l’adultère, ou de lui montrer au contraire le danger, dès les premiers pas, et de la faire frissonner d’horreur ? La question ainsi posée, c’est votre conscience qui la résoudra.

Je dis ceci, quant à présent : M. Flaubert a voulu peindre la femme qui au lieu de chercher à s’arranger dans la condition qui lui est donnée, avec sa situation, avec sa naissance, au lieu de chercher à se faire à la vie qui lui appartient, reste préoccupée de mille aspirations étrangères puisées dans une éducation trop élevée pour elle ; qui, au lieu de s’accommoder des devoirs de sa position, d’être la femme tranquille du médecin de campagne avec lequel elle passe ses jours, au lieu de chercher le bonheur dans sa maison, dans son union, le cherche dans d’interminables rêvasseries, et puis qui, bientôt rencontrant sur sa route un jeune homme qui coquette avec elle, joue avec elle le même jeu (mon Dieu ! ils sont inexpérimentés l’un et l’autre), s’excite en quelque sorte par degrés, s’effraye quand, recourant à la religion de ses premières années, elle n’y trouve pas une force suffisante ; et nous verrons tout à l’heure pourquoi elle ne l’y trouve pas. Cependant l’ignorance du jeune homme et sa propre ignorance la préservent d’un premier danger. Mais elle est bientôt rencontrée par un homme comme il y en a tant, comme il y en a trop dans le monde, qui se saisit d’elle, pauvre femme déjà déviée, et l’entraîne. Voilà ce qui est capital, ce qu’il fallait voir, ce qu’est le livre lui-même.

Le ministère public s’irrite, et je crois qu’il s’irrite à tort, au point de vue de la conscience et du cœur humain, de ce que,