Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/609

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Voilà, messieurs, ce que M. Flaubert a dit, ce qu’il a peint, ce qui est à chaque ligne de son livre ; voilà ce qui distingue son œuvre de toutes les œuvres du même genre. C’est que chez lui les grands travers de la société figurent à chaque page, c’est que chez lui l’adultère marche plein de dégoût et de honte. Il a pris dans les relations habituelles de la vie l’enseignement le plus saisissant qui puisse être donné à une jeune femme. Oh ! mon Dieu, celles de nos jeunes femmes qui ne trouvent pas dans les principes honnêtes, élevés, dans une religion sévère de quoi se tenir fermes dans l’accomplissement de leurs devoirs de mères, qui ne le trouvent pas surtout dans cette résignation, cette science pratique de la vie qui nous dit qu’il faut s’accommoder de ce que nous avons, mais qui portent leurs rêveries au dehors, ces jeunes femmes les plus honnêtes, les plus pures qui, dans le prosaïsme de leur ménage, sont quelquefois tourmentées par ce qui se passe autour d’elles, un livre comme celui-là, soyez-en sûrs, en fait réfléchir plus d’une. Voilà ce que M. Flaubert a fait.

Et prenez bien garde à une chose : M. Flaubert n’est pas un homme qui vous peint un charmant adultère, pour faire arriver ensuite le Deus ex machinâ, non ; vous avez sauté trop vite de la page que vous avez lue à la dernière. L’adultère, chez lui, n’est qu’une suite de tourments, de regrets, de remords ; et puis il arrive à une expiation finale, épouvantable. Elle est excessive. Si M. Flaubert pèche, c’est par l’excès, et je vous dirai tout à l’heure de qui est ce mot. L’expiation ne se fait pas attendre ; et c’est en cela que le livre est éminemment moral et utile, c’est qu’il ne promet pas à la jeune femme quelques-unes de ces belles années au bout desquelles elle peut dire : après cela on peut mourir. Non ! Dès le second jour arrivent l’amertume, la désillusion. Le dénouement pour la moralité se trouve à chaque ligne du livre.

Ce livre est écrit avec une puissance d’observation à laquelle M. l’Avocat impérial a rendu justice et c’est ici que j’appelle votre attention, parce que si l’accusation n’a pas de cause, il faut qu’elle tombe. Ce livre est écrit avec une puissance vraiment remarquable d’observation dans les moindres détails. Un article de l’Artiste, signé Flaubert, a servi encore de prétexte à l’accusation. Que monsieur l’Avocat impérial veuille remarquer d’abord que cet article est étranger à l’incrimination ; qu’il veuille remarquer ensuite que nous le tenons pour très innocent et très moral aux yeux du tribunal, à une condition, que M. l’Avocat impérial aura la bonté de le lire en entier, au lieu de le déchiqueter. Ce qui a saisi dans le livre de M. Flaubert, c’est ce que quelques comptes rendus ont appelé une fidélité toute daguerrienne dans la reproduction du type de toutes les choses, dans la nature intime de la pensée, du cœur humain, — et cette reproduction devient plus saisissante encore par la magie du style.