Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/629

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« Elle fut ébahie de sa bravoure, bien qu’elle y sentit une sorte d’indélicatesse et de grossièreté naïve, qui la scandalisa.

« Rodolphe réfléchit beaucoup à cette histoire de pistolets. Si elle avait parlé sérieusement, cela était fort ridicule pensait-il, odieux même, car il n’avait, lui, aucune raison de haïr ce bon Charles, n’étant pas ce qui s’appelle dévoré de jalousie ; — et à ce propos Emma lui avait fait un grand serment, qu’il ne trouvait pas, non plus, du meilleur goût.

« D’ailleurs, elle devenait bien sentimentale. Il avait fallu s’échanger des miniatures, on s’était coupé des poignées de cheveux, et elle demandait à présent une bague, un véritable anneau de mariage, en signe d’alliance éternelle. Souvent elle lui parlait des cloches du soir, ou des voix de la nature ; puis elle l’entretenait de sa mère à elle, et de sa mère à lui. »

Elle l’ennuyait enfin.

Puis, page 453[1] : « Il (Rodolphe) n’avait plus, comme autrefois, de ces mots si doux qui la faisaient pleurer, ni de ces véhémentes caresses qui la rendaient folle ; — si bien que leur grand amour, où elle vivait plongée, parut se diminuer sous elle comme l’eau d’un fleuve qui s’absorberait dans son lit, et elle aperçut la vase. Elle n’y voulut pas croire ; elle redoubla de tendresse ; et Rodolphe, de moins en moins, cacha son indifférence.

« Elle ne savait pas si elle regrettait de lui avoir cédé, ou si elle ne souhaitait point, au contraire, le chérir davantage. L’humiliation de se sentir faible se tournait en une rancune que les voluptés tempéraient. Ce n’était pas de l’attachement, mais comme une séduction permanente. Il la subjuguait. Elle en avait presque peur ».

Et vous craignez, monsieur l’Avocat impérial, que les jeunes femmes lisent cela ! Je suis moins effrayé, moins timide que vous. Pour mon compte personnel, je comprends à merveille que le père de famille dise à sa fille : Jeune femme, si ton cœur, si ta conscience, si le sentiment religieux, si la voix du devoir ne suffisaient pas pour te faire marcher dans la droite voie, regarde, mon enfant, regarde combien d’ennuis, de souffrances, de douleurs et de désolations attendent la femme qui va chercher le bonheur ailleurs que chez elle ! Ce langage ne vous blesserait pas dans la bouche d’un père, eh bien ! M. Flaubert ne dit pas autre chose ; c’est la peinture la plus vraie, la plus saisissante de ce que la femme qui a rêvé le bonheur en dehors de sa maison trouve immédiatement.

Mais marchons, nous arrivons à toutes les aventures de la désillusion. Vous m’opposez les caresses de Léon à la page 60[2] :

  1. Page 236.
  2. Page 365.