Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/634

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sages à l’aide desquels vous vouliez constituer un délit qui maintenant est brisé. Vous avez développé à l’audience ce que bon vous semblait, et vous avez eu beau jeu. Heureusement nous avions le livre, le défenseur savait le livre ; s’il ne l’avait pas su, sa position eût été bien étrange, permettez-moi de vous le dire. Je suis appelé à expliquer sur tels ou tels passages, et à l’audience on y substitue d’autres passages. Si je n’avais possédé le livre comme je le possède, la défense eût été difficile. Maintenant, je vous montre, par une analyse fidèle que le roman, loin de devoir être présenté comme lascif, doit être au contraire considéré comme une œuvre éminemment morale. Après avoir fait cela, je prends les passages qui ont motivé la citation en police correctionnelle ; et après avoir fait suivre vos découpures de ce qui précède et de ce qui suit, l’accusation est si faible, qu’elle vous révolte vous-même, au moment où je les lis ! Ces mêmes passages que vous signaliez comme incriminables, il y a un instant, j’ai cependant bien le droit de les citer moi-même, pour vous faire voir le néant de votre accusation.

Je reprends ma citation où j’en suis resté, au bas de la page 78[1] :

« Il (Léon) s’ennuyait maintenant lorsque Emma, tout à coup, sanglotait sur sa poitrine ; et son cœur, comme les gens qui ne peuvent endurer qu’une certaine dose de musique, s’assoupissait d’indifférence au vacarme d’un amour dont il ne distinguait plus les délicatesses.

« Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de la possession qui centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage. »

Platitudes du mariage ! Celui qui a découpé ceci a dit : Comment, voilà un monsieur qui dit que dans le mariage il n’y a que des platitudes ! c’est une attaque au mariage, c’est un outrage à la morale ! Convenez, monsieur l’Avocat impérial, qu’avec des découpures artistement faites, on peut aller loin en fait d’incrimination. Qu’est-ce que l’auteur a appelé les platitudes du mariage ? Cette monotonie qu’Emma avait redouté, qu’elle avait voulu fuir, et qu’elle retrouvait sans cesse dans l’adultère, ce qui était précisément la désillusion. Vous voyez bien que quand, au lieu de découper des membres de phrases et des mots, on lit ce qui précède et ce qui suit, il ne reste plus rien à l’incrimination ; et vous comprenez à merveille que mon client, qui sait sa pensée, dit être un peu révolté de la voir ainsi travestie. Continuons.

« Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage.

  1. Pages 401 et 402.