Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/655

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et qui, enfantant des œuvres également offensantes pour les regards et pour l’esprit, commettrait de continuels outrages à la morale publique et aux bonnes mœurs ;

« Attendu qu’il y a des limites que la littérature, même la plus légère, ne doit pas dépasser, et dont Gustave Flaubert et co-inculpés paraissent ne s’être pas suffisamment rendu compte ;

« Mais attendu que l’ouvrage dont Flaubert est l’auteur est une œuvre qui paraît avoir été longuement et sérieusement travaillée, au point de vue littéraire et de l’étude des caractères ; que les passages relevés par l’ordonnance de renvoi, quelque répréhensibles qu’ils soient, sont peu nombreux si on les compare à l’étendue de l’ouvrage ; que ces passages, soit dans les idées qu’ils exposent, soit dans les situations qu’ils représentent, rentrent dans l’ensemble des caractères que l’auteur a voulu peindre, tout en les exagérant et en les imprégnant d’un réalisme vulgaire et souvent choquant ;

« Attendu que Gustave Flaubert proteste de son respect pour les bonnes mœurs, et tout ce qui se rattache à la moralité religieuse ; qu’il n’apparaît pas que son livre ait été, comme certaines œuvres, écrit dans le but unique de donner une satisfaction aux passions sensuelles, à l’esprit de licence et de débauche, ou de ridiculiser des choses qui doivent être entourées du respect de tous ;

« Qu’il a eu le tort seulement de perdre parfois de vue les règles que tout écrivain qui se respecte ne doit jamais franchir, et d’oublier que la littérature, comme l’art, pour accomplir le bien qu’elle est appelée à produire, ne doit pas seulement être chaste et pure dans sa forme et dans son expression ;

« Dans ces circonstances, attendu qu’il n’est pas suffisamment établi que Pichat, Gustave Flaubert et Pillet se soient rendus coupables des délits qui leur sont imputés ;

« Le tribunal les acquitte de la prévention portée contre eux et les renvoie sans dépens. »