Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/88

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luant, avec sa boîte à violon. Comme c’était loin, tout cela ! comme c’était loin !

Elle appelait Djali, la prenait entre ses genoux, passait ses doigts sur sa longue tête fine, et lui disait :

— Allons, baisez maîtresse, vous qui n’avez pas de chagrins.

Puis, considérant la mine mélancolique du svelte animal qui bâillait avec lenteur, elle s’attendrissait, et, le comparant à elle-même, lui parlait tout haut, comme à quelqu’un d’affligé que l’on console.

Il arrivait parfois des rafales de vent, brises de la mer qui, roulant d’un bond sur tout le plateau du pays de Caux, apportaient, jusqu’au loin dans les champs, une fraîcheur salée. Les joncs sifflaient à ras de terre, et les feuilles des hêtres bruissaient en un frisson rapide, tandis que les cimes, se balançant toujours, continuaient leur grand murmure. Emma serrait son châle contre ses épaules et se levait.

Dans l’avenue, un jour vert rabattu par le feuillage éclairait la mousse rase qui craquait doucement sous ses pieds. Le soleil se couchait ; le ciel était rouge entre les branches, et les troncs pareils des arbres plantés en ligne droite semblaient une colonnade brune se détachant sur un fond d’or ; une peur la prenait, elle appelait Djali, s’en retournait vite à Tostes par la grande route, s’affaissait dans un fauteuil, et de toute la soirée ne parlait pas.

Mais, vers la fin de septembre, quelque chose d’extraordinaire tomba dans sa vie : elle fut invitée à la Vaubyessard, chez le marquis d’Andervilliers.