Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/101

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sinistre de la pleine lumière qui a quelque chose de noir. — Histoire de l’homme aux dattes et à la fessée ; effet de la veste de Sassetti s’envolant au vent, et le vieux cul noir de l’homme au milieu des vagues blanches. Quels cris, mais quelle pile !

Nous suivons le bord de la mer jusqu’à 5 heures du soir. On prend à droite ; de place en place des colonnes en briques dans le désert pour indiquer la direction de Rosette. Les sables sont très mous, le soleil se couche : c’est du vermeil en fusion dans le ciel ; puis des nuages plus rouges, en forme de gigantesques arêtes de poisson (il y eut un moment où le ciel était une plaque de vermeil et le sable avait l’air d’encre). En face et à notre gauche, du côté de la mer et de Rosette, le ciel a des bleus tendres de pastel ; nos deux ombres à cheval marchant parallèlement sont gigantesques, elles vont devant nous régulièrement, comme nous. On dirait deux grands obélisques qui marchent de compagnie.

Minarets blancs de Rosette. — La végétation recommence, palmiers, monticules. Un de nos petits saïs marche devant nous, on fait plusieurs détours, la nuit est close tout à fait, nous arrivons devant la porte de Rosette ; elle s’ouvre et crie comme une porte de grange. Nous traversons des rues étroites à moucharabiehs treillagés ; elles sont sombres et étroites, les maisons semblent se toucher, les boutiques des bazars sont éclairées par des verres pleins d’huile suspendus par un fil. Si nous eussions gardé nos fusils en travers de nos selles, nous les eussions brisés, à cause de l’étroitesse des rues ; un cheval emplit en effet presque à lui seul le passage entre les boutiques. Nous traversons