Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/114

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l’invocation à Isis : « Salut, salut, terre noire d’Égypte ». La terre en Égypte est noire. Des buffles broutent ; de temps à autre, un ruisseau boueux, sans eau, où nos chevaux enfoncent dans la vase jusqu’au genou, bientôt nous traversons de grandes flaques d’eau ou des ruisseaux.

Vers 3 heures et demie, nous touchons presque au désert[1], où les trois Pyramides se dressent. Je n’y tiens plus et lance mon cheval qui part au grand galop, pataugeant dans le marais. Maxime, deux minutes après, m’imite. Course furieuse. — Je pousse des cris malgré moi, nous gravissons dans un tourbillon jusqu’au Sphinx. Au commencement, nos Arabes nous suivaient en criant : « σφίγξ, σφίγξ, oh ! oh ! oh ! » il grandissait, grandissait et sortait de terre comme un chien qui se lève.

Vue du sphinx Abou-el-Houl (le père de la terreur). — Le sable, les Pyramides, le Sphinx, tout gris et noyé dans un grand ton rose ; le ciel est tout bleu, les aigles tournent en planant lentement autour du faîte des Pyramides. Nous nous arrêtons devant le Sphinx, il nous regarde d’une façon terrifiante ; Maxime est tout pâle, j’ai peur que la tête ne me tourne et je tache de dominer mon émotion. Nous repartons à fond de train, fous, emportés au milieu des pierres ; nous faisons le tour des Pyramides, à leur pied même, au pas. Les bagages tardent à venir, la nuit tombe.

On dresse la tente (c’était son inauguration ; aujourd’hui, 27 juin 1851, je viens avec Bossière de la replier, très mal : c’est sa fin.) — Dîner. — Effet de la petite lanterne en toile blanche suspendue

  1. Voir Correspondance, I, p. 343.