Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/128

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dans le désert, nous nous couchons par terre, pas une idée, presque pas une parole, bonne journée d’inaction et d’air. Sur la hauteur en vue de la citadelle, une vieille mosquée. Nous montons les marches ruinées du minaret, d’où l’on voit le Caire, le vieux Caire presque au premier plan, les deux grands minarets blancs de la mosquée de Méhémet-Ali, les Pyramides, Sakkara, la vallée du Nil, le désert au delà, Choubra au fond à droite. Nous avons bu une tasse de café dans un café près de la citadelle et fumé dans de longs chicheks (de la Mecque). À ma gauche, un peu derrière moi, un homme, monté sur le banc, faisait sa prière ; un enfant, pour faire une farce, a soufflé dans le cornet de Joseph ; un âne était à la porte, se tenant dans une pose parthénonienne, une jambe en avant et la tête gourmée comme l’âne de J.-C. dans la fresque de Flandrin à Saint-Germain-des-Prés. Après avoir fait sa prière, l’homme s’est tranquillement peigné la barbe, comme fait un monsieur dans son cabinet de toilette. Ce même âne de Maxime, qui brayait souvent, avait à la fin des gargouillements comme le chameau ; est-ce à force d’en entendre ? on n’a pas encore étudié jusqu’à quel point va l’imitation chez les animaux ; cela pourrait finir par dénaturer leur langue, ils changeraient de voix.

Messe de minuit (latine). — Évêque sous un dais, chandelles, colonnes garnies de damas rouge. — Au-dessus, gynécée en bois de palmier, en forme de ventre (comme malgré soi et la force de sa destination même ?) ; quelques voiles de femmes paraissaient à travers. Pendant que les prêtres mettaient leurs chasubles, airs dansants de l’orgue.