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VOYAGE EN FAMILLE

tain temps, les ombres et les lumières se mêlent, tout prend même teinte, comme dans les vieux tableaux : les jours tristes se colorent des jours gais, les jours heureux s’alanguissent un peu de la mélancolie des autres. Voilà pourquoi on aime à revenir sur son passé. Il est triste et charmant cependant, c’est comme les airs qui font mal à entendre et qu’on est poussé à écouter toujours et le plus longtemps possible.

La place au Foin a ses mêmes arbres verts et son même bruit d’eau ; le quai, la mer, les rues, tout est de même. Quelle différence avec le cœur ! les arbres ne conservent point la trace des orages qui ont courbé leurs branches, ni les sables légers que le vent fait mouvoir celle des pas qui s’y sont imprimés ; il n’en est pas de même de l’âme et de la figure des hommes : tout y marque. Éternel travail de mosaïque ! les petites pierres s’incrustent par-dessus les grandes, le noir sur le blanc, le bleu à côté du rouge, les privations et les excès, les colères, les découragements et les enthousiasmes, hei mihi ! hei mihi !

Visite d’hôpital au bagne ; idem pour l’ensemble.

Celui qui se croit le Messie. — Le savant, en lunettes bleues, sa camisole arrangée en robe de chambre, lisant son petit bouquin ; condamné pour viol. — Arabes : moins beaux qu’à ma première visite.

Nous y sommes revenus l’après-midi. Il y a une indécence bien bête à venir voir des forçats. Les honnêtes femmes y viennent et les regardent avec leurs lorgnons pour voir si ce sont des hommes. — Mine du bourgeois se promenant là