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VOYAGE EN FAMILLE

viens plus, mais elle m’a frappé sur le moment comme beau sujet d’opéra. Il a voulu aussi nous faire l’histoire de Christophe Colomb, mais j’ai si bien montré mon envie de partir qu’il a fini. (Autre fâcheux à Milan. On est poli dans toutes ces villes, on y sent d’anciennes mœurs civilisées, qui, comme une étoffe usée, s’en vont en haillons quoique encore soyeuses.)

Le premier palais que j’ai vu a été le palais Brignole : façade rouge, escalier de marbre blanc tout droit. Les appartements ne sont pas aussi grands que dans beaucoup d’autres, mais la tenue générale, les mosaïques des parquets, et les tableaux surtout, en font peut-être le plus riche de Gênes. Il y en a un autre contigu, appartenant également aux Brignole. — Domestique à cheveux crépus. — Deux grands portraits en pied, de Van Dyck, le mari et la femme en regard l’un de l’autre ; le mari, à cheval, de face, tout en noir, tête nue, saluant  ; son cheval se rengorge un peu, une levrette jappe à ses pieds  ; figure grave, pâle, aristocratique, douce et triste ; la dame, debout, la tête raide dans sa collerette, chevelure crépelée, à la Médicis, robe en étoffe lourde, verte, à raies d’or qui descendent droit. Vénérables toiles de famille, respectables par ce qu’elles représentent et par la manière dont elles le représentent.

Un portrait d’homme, de l’école vénitienne, figure très pâle, barbe noire, manches en soie rouge, pourpoint noir ; intensité du regard, ardeur sous le calme. C’est du grand style et du vrai beau, on voudrait être cet homme-là pour avoir semblable tournure.