Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/262

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ché d’un Arabe que l’on ne voit bien que jusqu’au tronc : il a la face horriblement contractée, la bouche de côté, ronde comme un œuf, crie de toute la force humaine possible ; c’est un Arabe venu là avec un Maugrabin, et mort on ne sait comment. La tradition est qu’ils étaient venus chercher des trésors et que le Diable l’a étranglé. Il y a quelques années à peine, si l’on pouvait entrer dans ces grottes on y étouffait au bout de cinq minutes ; il se sera déclaré sans doute quelque courant d’air depuis. Il y a quelques années, le feu y a pris et a duré un an ; c’est là sans doute la cause de l’espèce d’humidité qui y règne, le bitume suinte de partout, les roches en ont des sortes de stalactites, on en sort goudronné ; l’Arabe, mentionné plus haut, s’est momifié tout seul. On me dit de faire un effort pour monter, je m’appuie (les bougies sont éteintes) sur les deux pieds de momie, qui font seuil, et j’entre.

Amoncellement désordonné de momies de toutes sortes, le plafond noir de bitume, les côtés pleins d’ombre, le sol gris jaune, de la couleur des bandelettes ; je m’assois haletant par terre, la toux ne me quitte pas.

Ils sont là tous, les uns sur les autres, entassés, tranquilles ; on casse des os sous ses pieds, on baisse la main et on tire un bras. Jusqu’à quelle profondeur faudrait-il descendre pour trouver le sol ? Il y en a tant qu’il peut y en avoir.

Le retour est encore plus pénible, on a la fatigue précédente en sus. À partir de la seconde moitié de la route, c’est accablant… on arrive brisé, suant à grosses gouttes, le cœur battant à vous rompre les côtes, la poitrine oppressée