Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/320

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factice. — Le couvent nourrit deux renards ; chaque soir on leur jette deux pains, chaque soir ils viennent là attendre, le pain tombe, ils le saisissent et l’emportent. — La nuit, je ne dors pas. Clair de lune sur les montagnes et sur le couvent, tintement régulier de l’horloge. La cloche sonne, chants des prêtres dans l’église. Je fume sur une chaise en regardant la nuit, les pieds appuyés sur le petit parapet de la muraille.

Nous partons à 7 heures, après une tasse de café, un petit verre et une grappe de raisin qui nous avaient réveillés ex abrupto. Nous descendons la rampe de Saint-Saba et nous prenons le chemin de Jérusalem. Ennuyé d’aller au pas derrière le cheval de sheik Mohammed, j’enlève ma bête au galop et je me maintiens devant tout le monde à la distance d’une centaine de pas, pendant peut-être dix minutes. J’allais au pas, quand j’entends tout à coup un coup de feu et des aboiements de chien : « C’est Max qui a sans doute tiré un toutou », me dis-je, connaissant ses théories à ce sujet. J’arrête mon cheval et je le retourne. Alors je vois un fumignon monter à cent pas derrière moi (devant moi maintenant), mais comme il me semblait partir d’un point plus élevé que la route, je ne doutais pas que ce ne fût quelque Bédouin qui chassait ou un de nos hommes qui faisait de la fantasia. Pendant que j’étais calmement livré à cette double conjecture (l’idée d’un danger ne m’était pas approchée), je vis Max, Joseph et nos deux sheiks déboucher tranquillement, au pas, et sans parler haut, ce qui me confirma dans mes prévisions pacifiques. « S’il y avait eu un chien de tué, me dis-je, on vociférerait, j’entendrais le monde