Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/335

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nous va peut-être rester en route, voilà ce que chacun se dit à soi-même, sans le répéter trop haut. — Bref, nous partons après toutes les recommandations possibles aux moucres, qui ont ôté les sonnettes et grelots de leurs mulets.

La route, pierreuse, commence à monter sous des oliviers ; un de nos hommes, gaillard facétieux, auquel il manque les incisives de devant et monté sur une petite rosse baie, se met à chanter, puis nous descendons et nous arrivons dans une plaine. C’est là qu’Abou-Issa et Abou-Ali reçurent de l’escorte une si belle trempe pour les avoir insultés ; ce qui me fit dire, le soir à dîner, non pas : une gelée de garde, mais : une dégelée de gardes. Il y eut un mot de Joseph, sublime : « Ce sont des Turcs, qu’ils se tuent entre eux, s’ils le veulent, ça ne nous regarde pas ». Les herbes sont brûlées par le feu, manière d’engraisser la terre ; ça donne au sol une teinte noire.

Vers 5 heures nous arrivons à Djiss-Benat-el-Yakub, nous campons là. Nous avons le pont à notre gauche ; devant nous la rivière, qui coule entre les herbes et les roseaux ; au delà du pont, la grande nappe bleue de Bahr-el-Hule. Avant d’arriver à notre campement, nous avons remarqué, sur des buttes qui sont au bord du lac, quelques cabanes de Bédouins. Max croit qu’on nous observe, la nuit vient.

De l’autre côté du pont, une caravane de dromadaires et de marchandises, le tout couché par terre et les hommes, debout dans leur habar et chibouk à la main, circulant au milieu.

À Safed, nous avons pris un bonhomme qui a demandé la permission de se joindre à nous ; c’est