Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/336

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un vieux à barbe blanche, voûté et usé par le temps, il a vu bien des hivers, un énorme turban, armé jusqu’aux dents ; négociant en chevaux, il ramène avec lui une pauvre rosse blanche qui met en gaîté nos chevaux entiers. Il a été en Autriche, en Perse ! c’est un vieux qui a beaucoup d’expérience : « Ah ! il est un brave », dit Joseph. Il mange tout seul sur son tapis, arrange son cheval, fait sa prière. Je n’ai jamais rien vu de plus expressif que son œil lorsqu’il parlait à Joseph des précautions à prendre pour la nuit ; il était à ce moment tourné vers Bahr-el-Hule et de profil ; quel œil !

À peine avons-nous pris l’œuf dur du voyage, qu’Ismaël-Aga parle de partir, quoiqu’il soit convenu que l’on se mettra en marche à 10 heures ; on objecte les mulets et les chevaux, bref, à 8 heures, on se f… en selle. Nous avons, pendant le dîner, beaucoup ri à l’idée de nous f..... des coups de fusil à tort et à travers, pendant la nuit, et surtout à celle de canarder le bagage, de décapiter Abou-Ali, d’éreinter le bisarche.

Il est nuit complète, je n’y vois goutte ; le bagage est devant nous précédé par deux (quelquefois trois) hommes d’escorte, Joseph et Sassetti sont derrière nous, puis le vieux négociant, qui tend dans les ténèbres son œil de lynx ; les trois autres gardes sont derrière tout le monde ou sur les flancs. Nous passons le pont, nous montons au milieu des pierres ; l’envie de dormir m’empoigne pendant un quart d’heure environ, ce n’est guère le moment cependant ; je me dirige en suivant la croupe blanche du cheval de Maxime ; le bouffon de la bande chante à tue-tête, sur un ton