Page:Flaubert - Notes de voyages, II.djvu/104

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cassines s’envolent, de temps à autre tombe une petite pluie fine.

Nous passons à gué une grosse rivière, le Céphissus ; de temps à autre, pont bâti sur les places d’eau dans le marais.

Rapurna, au fond de la plaine, à droite, au pied de la montagne. Avant d’y arriver, restes d’un petit théâtre taillé à même dans la pierre : les marches en sont étroites, on n’y pouvait s’asseoir et y mettre les pieds tout à la fois ; au-dessus, restes des murs de l’acropole.

En suivant la route que nous devons prendre demain, un peu après le village, à droite, se voient, dans un petit trou au milieu des broussailles, les restes d’un lion gigantesque : ses membres sont épars, couchés et cachés pêle-mêle ; tête colossale, à crinière frisée autour du facies. En marbre, assez beau travail. À l’extrémité des incisives de chaque côté de la gueule, un trou qui communique d’un côté à l’autre, comme si le lion avait eu, passé dans la gueule, un frein.

Les chiens de Rapurna hurlent affreusement, se ruent sur nous. Nous les voyons poursuivre deux pauvres diables qui vont de porte en porte : c’est un aveugle qui joue du violon, violon à manche large, à trois chevilles ; il marche par-derrière, en tenant sa main gauche sur l’épaule de son conducteur chargé de deux besaces ; ils viennent à la maison où nous sommes logés, l’aveugle est sans yeux, une balle lui a passé d’une tempe à l’autre ; son compagnon a la tête enroulée d’un voile noir en turban, qui ressemble à un chaperon moyen âge (duc de Bourgogne ?), figure de femme, petite moustache noire, l’air d’une affreuse canaille.