Page:Flaubert - Notes de voyages, II.djvu/105

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Nous attendons le bagage deux heures, il arrive à la nuit ; la pluie tombe à torrents, cela ne nous promet pas poires molles pour demain !

Rapurna, 9 h. ½ du soir.

Samedi 11. — La pluie et le vent n’ont cessé toute la nuit, Giorgi a demandé à coucher dans la même chambre que nous. Toute la famille, qui l’habite, a passé la nuit dehors, avec les muletiers et l’ironique cuisinier, dont les chalouars blancs sont maintenant noirs de boue ; aussi, le matin, les femmes et l’affreuse nichée d’enfants viennent-ils en grelottant se chauffer à nos tisons. À travers la crasse qui les couvre on distingue quelques-uns de leurs traits, qui seraient beaux peut-être s’ils n’étaient si sales ; mais quelle saleté ! cela dépasse tout ce que j’ai vu jusqu’à présent ! La jeune femme du lieu met son marmot dans son berceau, tronc d’arbre creusé, à peine dégrossi, et le dandine auprès du feu : la forme de ce berceau me rappelle les pirogues de la mer Rouge.

Notre bagage part en avant, devant nous précéder à Thèbes ; nous partons après lui, à 11 heures, couverts de nos peaux de bique et de nos couvertures de Bédouin mises par-dessus et attachées avec une corde sur le devant de la poitrine, à la manière d’un burnous. La pluie tombe sur nous sans discontinuer pendant deux heures.

La route monte une montagne, puis la redescend ; en face de nous nous apercevons Livadia, le Parnasse à droite, noyé dans la brume et dans la pluie.

Le bagage s’est arrêté au khan de Livadia, et les agayaturs déclarent qu’ils ne veulent pas aller