Page:Flaubert - Notes de voyages, II.djvu/108

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l’éperon, c’est le mot, car j’ai perdu celui du pied gauche aux Thermopyles, dans ce petit bois où je me suis si bien déchiré, et d’où nous avons fait débusquer un lièvre.

Nous avons tourné brusquement sur la droite, quittant la route de Thèbes ; deux heures après, nous passons devant Erimo-Castro, nous en avons encore pour cinq heures, il est presque nuit, le temps devient non pas pire, c’est impossible ; mes pieds sont complètement insensibles, j’ai chaud à la tête. Nous blaguons beaucoup en songeant que nous avons perdu le bagage, et nous nous consultons comme au restaurant pour savoir quoi nous mangerons à notre dîner : Garçon, du Sauterne avec les huîtres ! une bisque à l’écrevisse ! deux filets chateaubriand ! crème de turbot ! une croûte madère ! un feu d’enfer et des cigares ! allez !

La neige tombe, elle s’attache aux poils qui sont dans l’intérieur des oreilles de nos chevaux et les emplit ; ils ont l’air d’avoir du coton dans les oreilles.

L’Hélicon est sur notre droite, nous apercevons des sommets blancs dans les interstices des nuages et du crépuscule.

Sur une éminence où l’œil est amené par une pente blanche et très douce, enfoui dans la neige comme un village de Russie, avec ses toits bas, Kokla.

Nous n’entendons plus nos chevaux marcher, tant la neige assourdit leurs pas, nous allons nous perdre pour passer le Cithéron, Giorgi demande un guide, personne ne veut venir.

Nous continuons ; ma gourde d’eau-de-vie, que j’avais précieusement gardée pendant tout le