Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/24

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hôtels et le trou noir des cheminées fumeuses. Accoudés dans l’anfractuosité d’un créneau, nous regardions, nous écoutions, nous aspirions tout cela, jouissant du soleil qui était beau, de l’air qui était doux et tout imbibé de la bonne odeur des plantes des ruines. Et là, sans méditer sur rien du tout, sans phraser, même intérieurement, sur quoi que ce soit, je songeais aux cottes de mailles souples comme des gants, aux baudriers de buffle trempés de sueur, aux visières fermées sous lesquelles brillaient des regards rouges ; aux assauts de nuit, hurlants, désespérés, avec des torches qui incendiaient les murs, des haches d’armes qui coupaient les corps ; et à Louis XI, à la guerre des amoureux, à d’Aubigné, et aux ravenelles, aux oiseaux, aux beaux lierres lustrés, aux ronces toutes chauves, savourant ainsi dans ma dégustation rêveuse et nonchalante, des hommes, ce qu’ils ont de plus grand : leur souvenir ; de la nature, ce qu’elle a de plus beau : ses envahissements ironiques et son éternel sourire.

Dans le jardin, au milieu des lilas et des touffes d’arbustes, s’élève la chapelle, bijou d’orfèvrerie lapidaire du xvie siècle, plus travaillé encore au dedans qu’au dehors, taillé à jour comme un manche d’ombrelle chinoise. Sur la porte un bas-relief très réjouissant représente la rencontre de saint Hubert avec le cerf mystique qui porte un crucifix entre les cornes. Le saint est à genoux ; plane au-dessus un ange qui va lui mettre une couronne sur son bonnet ; à côté, son cheval regarde