Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tiers ; les ombres s’allongeaient, les broussailles et les fleurs ne se distinguaient plus, et les montagnes basses d’en face grandissaient leurs sommets bleuâtres dans le ciel qui blanchissait. La rivière, contenue jusqu’à une demi-lieue en deçà de la ville dans des rives factices, s’en va ensuite comme elle veut et déborde librement dans la prairie qu’elle traverse ; sa longue courbure s’étalait au loin, et les flaques d’eau que colorait le soleil couchant avaient l’air de grands plats d’or oubliés sur l’herbe.

Jusqu’à la Roche-Maurice, l’Elorn serpente à côté de la route qui contourne la base des collines rocheuses dont les mamelons inégaux s’avancent dans la vallée. Nous la parcourions au petit trot dans un cabriolet paisible qu’un enfant conduisait, assis dans le brancard. Son chapeau, sans cordons, s’envolait au vent, et dans les stations qu’il fallait faire pour descendre le ramasser, nous avions tout le loisir d’admirer le paysage.

Le château de la Roche-Maurice était un vrai château de burgrave, un nid de vautour au sommet d’un mont. On y monte par une pente presque à pic, le long de laquelle, de place en place, des blocs de maçonnerie éboulés servent de marches. Tout en haut, par un pan de mur fait de quartiers plats posés l’un sur l’autre et où tiennent encore de larges arcs de fenêtres, on voit la campagne : des bois, des champs, la rivière qui coule vers la mer, le ruban blanc de la route qui s’allonge, les montagnes dentelant leurs crêtes