Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La campagne des environs de Saint-Pol est d’une tristesse froide. La teinte morne des terres lentement onduleuses se fond sans transition dans la pâleur du ciel, et la courte perspective n’a pas de grandes lignes dans ses proportions ni de changement de couleur sur ses bords. Çà et là, en allant dans les champs, vous rencontrez, derrière un mur de pierres grises, quelque ferme silencieuse, manoir abandonné, où les martres ne viennent pas. Dans la cour, sur le fumier, les pourceaux dorment, les poules grignotent l’avoine, entre les dalles disjointes, sous le plein cintre de l’entrée dont l’écusson ciselé est rongé par le grand air. Dans les pièces vides qui servent de grenier, le plâtre des plafonds s’en va avec des restes de peintures ternies par la toile des araignées, que l’on voit courir sur les lambourdes. Le réséda sauvage a poussé sur la porte de Kersalion où se dresse encore, près de la tourelle, une fenêtre à pinacle flanquée d’un lion et d’un hercule sortant d’un mur comme des gargouilles. À Kerjean, dans le grand escalier tournant, j’ai heurté un piège à loup. Des socs de charrue, des fers de bêche rouillés, et des graines sèches dans des calebasses, gisent au hasard sur le parquet des chambres, ou encombrent les grands sièges de pierre dans l’embrasure des fenêtres.

Kerouséré a conservé ses trois tourelles à mâchicoulis, et l’on reconnaît encore dans la cour le large sillon des douves qui, montant petit à petit, en gagne le niveau, ainsi que sur l’onde, le sillage