Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/28

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à tous ceux qui rasent quoi que ce soit pour lui mettre une perruque, et qui, féroces dans leur pédantisme, impitoyables dans leur ineptie, s’en vont amputant la nature, ce bel art du bon Dieu, et crachant sur l’art, cette autre nature que l’homme porte en lui comme Jéhovah porte l’autre et qui est la cadette ou peut-être l’aînée. Qui sait ? C’est du moins l’idée d’Hégel que l’école empirique a toujours trouvée fort ridicule — et moi ?

Moi, j’ai des remords d’avoir eu la lâcheté de n’avoir pas étranglé de mes dix doigts l’homme qui a publié une édition de Molière « que les familles honnêtes peuvent mettre sans danger dans les mains de leurs enfants » ; je regrette de n’avoir pas à ma disposition, pour le misérable qui a sali Gil Blas des mêmes immondices de sa vertu, des supplices stercoraires et des agonies outrageantes ; et quant au brave idiot d’ecclésiastique belge qui a purifié Rabelais, que ne puis-je dans mon désir de vengeance réveiller le colosse pour lui voir seulement souffler dessus son haleine et pour lui entendre pousser sa hurlée titanique !

Le beau mal, vraiment, quand on aurait laissé intactes ces pauvres consoles où l’on devait voir de si jolies choses ; ça faisait donc venir bien des rougeurs aux fronts des voyageurs, ça épouvantait donc bien fort les vieilles Anglaises en boa, avec des engelures aux doigts et leurs pieds en battoirs, ou ça scandalisait dans sa morale quelque notaire honoraire, quelque monsieur décoré qui a des lunettes bleues et qui est cocu ! On aurait pu