Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/295

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L’île est déserte ; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties. Il y a sur le sommet une casemate délabrée avec une cour dont les vieux murs s’écroulent. En dessous de ce débris, à mi-côte, on a coupé à même la pente un espace de quelque dix pieds carrés au milieu duquel s’élève une dalle de granit surmontée d’une croix latine. Le tombeau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la croix.

Il dormira là-dessous, la tête tournée vers la mer ; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. Les vagues avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ; dans les tempêtes elles bondiront jusqu’à ses pieds, ou les matins d’été, quand les voiles blanches se déploient et que l’hirondelle arrive d’au delà des mers, longues et douces, elles lui apporteront la volupté mélancolique des horizons et la caresse des larges brises. Et les jours ainsi s’écoulant, pendant que les flots de la grève natale iront se balançant toujours entre son berceau et son tombeau, le cœur de René devenu froid, lentement, s’éparpillera dans le néant, au rythme sans fin de cette musique éternelle.

Nous avons tourné autour du tombeau, nous l’avons touché de nos mains, nous l’avons regardé comme s’il eût contenu son hôte, nous nous sommes assis par terre à ses côtés.

Le ciel était rose, la mer tranquille et la brise