Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mauvais sort de savant. À la bibliothèque j’ai touché le manuscrit de Montaigne avec autant de vénération qu’une relique, car il y a aussi des reliques profanes. Les additions qui sont en marge sont nombreuses, surchargées, mais nettes et sans rature, écrites comme le reste de veine primesautière ; c’est plus souvent une extension qu’une correction de la pensée ou du mot, ce qui arrive pourtant quelquefois par scrupule d’artiste et pour rendre son idée avec toutes ses nuances.

J’ai feuilleté ce livre avec plus de religion historique, si cela peut se dire, que je suis entré avec recueillement dans la cathédrale de Bordeaux, église qui veut faire la gothique, mais qui trahit le sol païen où elle est bâtie, alliance de deux architectures, amalgame de deux idées qui ne produit rien de beau. Le jubé est orné de sculptures mignardes et bien ouvragées qui seraient mieux à quelque rendez-vous de chasse de François Ier, à quelque boudoir de pierre au milieu des bois, pour y renfermer à l’heure de midi la maîtresse du roi ; des arceaux romans s’étendent tout le long de l’église, et les ogives supérieures forment la voûte, ogives rondes encore, quoi qu’elles fassent, qui n’ont pas eu la force de s’élever au ciel dans un élan d’amour et qui sont retombées presque en plein cintre, accablées et fatiguées. On a remplacé les anciens vitraux par des neufs, de sorte que le soleil entre malgré les rideaux qu’on a tendus, fait mille jeux de lumière riants sur les dalles, ce qui emporte l’esprit loin du lieu saint