Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/354

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dans les champs, sous les vignes. J’ai pensé alors à nos bonnes églises du Nord où il fait toujours sombre et toujours froid, où les peintures des vitraux ne laissent pénétrer que des rayons mystiques qui se reflètent sévèrement, pleins de mélancolie, sur les dalles grises. Si vous montez aux clochers, vous voyez toute la plaine de Bordeaux, blanche et illuminée ; le ciel est bleu et les tours octogones se détachent sur ce fond limpide ; la terre et le ciel se confondent à l’horizon dans leur blancheur, et l’esprit charmé et fatigué retombe de toute la hauteur des tours sur ce sol qui attiédit les âmes.

J’ai voulu grimper aux échelles et aller jusqu’au haut, mais j’ai senti le vertige venir ; des jours partis d’en bas me montaient entre les rayons des échelles et les fentes des charpentes, je suis redescendu avec plaisir tout content d’avoir à temps fui la peur. L’orgue, qu’on raccommodait pendant que nous visitions l’église, bourdonnait comme une grosse mouche.

C’est dans la tour Saint-Michel que se trouve le fameux caveau corroyeur, qui a la propriété de tanner les hommes ; ingénieux caveau qui n’a pas été aux écoles d’arts et métiers et qui fait de peaux de chrétiens des peaux d’ânes, car j’atteste qu’elles sont toutes dures, brunes, coriaces et retentissantes. Je suis désespéré de ne pas avoir eu d’idées fantastiques au milieu de ces vénérables momies ; je ne suis pas assez sensible non plus pour que cela m’ait fait horreur ; j’avoue que je me suis