Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/355

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assez diverti à contempler les grimaces de tous ces cadavres de diverses grandeurs, dont les uns ont l’air de pleurer, les autres de sourire, tous d’être éveillés et de vous regarder comme vous les regardez. Qui sait ? ce sont peut-être eux qui vivent et qui s’amusent à nous voir venir les voir. Ils se tenaient en rond autour d’un caveau circulaire, dont le sol est monté à moitié des arceaux, car ces morts-là sont debout sur 17 pieds d’autres morts, et ceux-ci sur d’autres sans doute, et nous, face à face avec les premiers. On vient, on les examine à la lanterne, le gardien leur fait sonner la poitrine pour faire voir qu’elle est dure ; on passe au suivant et, quand la revue est passée, on remonte l’escalier. C’est là leur métier, à ces morts ; on les a retirés de dessous terre, et on les a alignés en cercle ; l’un a 100 ans, l’autre 80, etc., un troisième 76, tous aussi âgés les uns que les autres pourtant ! Quand on vous a raconté leur genre de mort et que vous avez donné vos dix sous, tout est dit et vous faites place à d’autres. J’envie ici le sort de ces braves morts tannés qu’on va voir nus (car la mort n’a pas de pudeur) ; il y a une négresse qui a encore un air d’odalisque, un portefaix, joli garçon de plus de 6 pieds, superbe à voir, et un comte du pays tué en duel. Je ne demande pas à être plus célèbre, car il y a bien des gens vertueux, des poètes et des membres de l’Institut qui ne sont pas aussi curieux à voir que ces cuirs racornis, et qui n’auront jamais le renom de cette poussière obscure.