Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/371

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dit une contredanse exécutée par des trompettes.

Nous avons dîné à Irun, nous avons donc fait un repas en Espagne et j’y ai bu du cidre, du vrai cidre, comme en Normandie. La salle était tendue de papier frais et ornée d’une gravure de 25 sols représentant l’Europe en chapeau à plumes. La fille qui nous servait à table était maigre, fanée et vieille ; elle a dû être jolie à en juger par son beau regard et par l’expression de gracieuse tristesse qui lui donne quelque chose de doux et de fier comme l’Espagne son pays. Le soir enfin nous avons quitté notre hôtesse avec des poignées de main, après lui avoir acheté des cigarettes, nous être souhaité bonne santé et lui avoir promis notre retour. Ah ! c’est un beau pays que l’Espagne ! On l’aime en mettant le pied sur son seuil et on lui tourne le dos avec tristesse, car je la regrettais comme si je l’avais connue, en m’en retournant, le soir, à Behobie, à pied, et le ciel grondait d’orage le long de la rivière ; chemin faisant nous rencontrions des paysans qui rentraient chez eux, et tous nous saluaient en nous souhaitant buonas noches. La pluie venue, nous nous sommes mis à l’abri dans une étable où s’étaient réfugiées comme nous une mère et sa fille, qui se signaient à chaque éclair ; nous avons repris notre route ; l’abbé, qui lisait son bréviaire, n’a pu continuer, l’eau mouillait son livre, et moi je pensais à Fontarabie, à son soleil et à ses ruines.

J’étais triste quand j’ai quitté Bayonne et je l’étais encore en quittant Pau ; je pensais à l’Espagne, à