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BAGNÈRES-DE-LUCHON.

15 septembre, temps de pluie.

Aujourd’hui je devais aller au port de Venasque et revenir par le port de la Picade, aller en Espagne encore une fois ! Le projet est avorté et je suis à écrire assis sur un canapé d’auberge, en paletot et le chapeau sur la tête. Je ne sais ni que faire, ni que lire, ni qu’écrire. Il faut passer ainsi toute une journée, et qui promet d’être ennuyeuse. À peine s’il est 7 heures du matin, et le jour est si triste qu’on dirait du crépuscule ; il fait froid et humide. Restant confiné dans ma chambre, il ne me reste qu’un parti, c’est d’écrire. Mais quoi écrire ? il n’y a rien de si fatigant que de faire une perpétuelle description de son voyage, et d’annoter les plus minces impressions que l’on ressent ; à force de tout rendre et de tout exprimer, il ne reste plus rien en vous ; chaque sentiment qu’on traduit s’affaiblit dans notre cœur, et dédoublant ainsi chaque image, les couleurs primitives s’en altèrent sur la toile qui les a reçues.

Et puis, à quoi bon tout dire ? n’est-il pas doux au contraire de conserver dans le recoin du cœur des choses inconnues, des souvenirs que nul autre ne peut s’imaginer et que vous évoquez les jours sombres comme aujourd’hui, dont la réapparition vous illumine de joie et vous charmera comme dans un rêve ? Quand je décrirais aujourd’hui la vallée de Campan et Bagnères-de-Bigorre, quand