Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/387

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dans les jointures de la porte y fait taire les hommes ; on écoute, on se regarde, et quoique les murs soient solides on a je ne sais quel respect qui vous rend silencieux.

À partir de l’hospice la route monte en zigzag et devient de plus en plus scabreuse, ardue et aride. On tourne à chaque instant pour faciliter la montée, et si on regarde derrière soi on s’étonne de la hauteur où l’on est parvenu. L’air est pur, le vent souffle et le vent vous étourdit ; les chevaux montent vite, donnant de furieux coups d’épaule, baissant la tête comme pour mordre la route et s’y hissent.

À votre gauche vous apercevez successivement quatre lacs enchâssés dans des rochers, calmes comme s’ils étaient gelés ; point de plantes, pas de mousse, rien ; les teintes sont plus vertes et plus livides sur les bords et toute la surface est plutôt noire que bleue. Rien n’est triste comme la couleur de ces eaux qui ont l’air cadavéreuses et violacées et qui sont plus immobiles et plus nues que les rochers qui les entourent. De temps en temps on croit être arrivé au haut de la montagne, mais tout à coup elle fait un détour, semble s’allonger, comme courir devant vous à mesure que vous montez sur elle ; vous vous arrêtez pourtant, croyant que la montagne vous barre le passage et vous empêche d’aller plus avant, que tout est fini, et qu’il n’y a plus qu’à se retourner pour voir la France, mais voilà que subitement, et comme si la montagne se déchirait, la Maladetta surgit