Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/394

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certains jours ; il faut être en humeur et en veine de manger. C’est comme le canal du Midi sur lequel j’écris maintenant : traîné par des chevaux, notre bateau glisse entre des rangées d’arbres qui mirent leurs têtes rondes dans l’eau, l’eau fait semblant de murmurer à la proue, nous nous arrêtons de temps en temps à des écluses, la manivelle crie et la corde se tend. Il y a des gens qui trouvent cela superbe et qui se pâment en sensation pittoresque, cela m’ennuie comme la poésie descriptive. Quand on a dépassé certaines classes d’idées et d’émotions, on ne regarde guère ce qui est au-dessous de vous ; il en est de même pour tout, pour les croyances, pour les amours ; nous ne nous reverrons jamais qu’en imagination dans notre temps passé, et nous ne l’aurons que par souvenir. Quelquefois, il est vrai, on détourne la tête pour voir en arrière, mais les jambes vous portent toujours en avant, le cœur humain pas plus que l’histoire ne recule jamais, et comme sous les pieds du cheval d’Attila l’herbe ne repousse pas où il a marché et brouté.

D’ailleurs c’est toujours la même chose, une église du Midi ! Le dehors est roman, le plus souvent le portail est de la Renaissance ; à l’intérieur, du rechampissage et du badigeon.

Ainsi qu’à Saint-Bertrand de Comminges, le chœur de Saint-Sernin à Toulouse est de bois sculpté, bien inférieur à celui-ci tant par l’exécution que par le dessin ; les culs-de-lampe du dais continu qui couronne les miséricordes tombent