Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/428

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le brigadier aussi, à qui Théodore cria du plus loin et tout en le mirant : « Compère, tu ne m’échapperas pas ». Il ne lui échappa pas non plus, et tomba percé d’une balle au cœur, première vengeance. Le bandit regagna le maquis d’où il ne descendait plus que pour continuer ses meurtres sur la famille de son ennemi et sur les gendarmes, dont il tua bien une quarantaine. Le coup de fusil parti il disparaissait le soir et retournait dans un autre canton. Il vécut ainsi douze hivers et douze étés, et toujours généreux, réparant les torts, défendant ceux qui s’adressaient à lui, délicat à l’extrême sur le point d’honneur, menant joyeuse vie, recherché des femmes pour son bon cœur et sa belle mine, aimé de trois maîtresses à la fois. L’une d’elles, qui était enceinte lorsqu’il fut tué, chanta sur le corps de son amant une ballata que mon guide m’a redite. Elle commence par ces mots : « Si je n’étais pas chargée de ton fils et qui doit naître pour te venger, je t’irais rejoindre, ô mon Théodore ! »

Son frère était également bandit, mais il n’en avait ni la générosité ni les belles formes. Ayant mis plusieurs jours à contribution un curé des environs, il fut tué à la fin par celui-ci qui, harassé de ses exactions, sut l’attirer chez lui, et sauta dessus avec des hommes mis en embuscade. La sœur du bandit, attirée par le bruit de tous ces hommes qui se roulaient les uns sur les autres, entra aussitôt dans le presbytère. Le cadavre était là, elle se rua dessus, elle s’agenouilla sur le corps